Construire une histoire…
On se contente de peu dans le village aux mille trésors, d’une existence paisible et juste de quoi vivre, « un peu de riz, d’argile et de coton » ; une simplicité qu’évoquent parfaitement les illustrations pleine page, vives et aérées un cerisier en fleurs, des maisons grand ouvertes, des adultes sereins qui vaquent à leurs occupations, des visages épanouis et des enfants qui jouent. Quand débarquent deux hommes à cheval, tout de noir vêtus, la mine sombre et les traits crispés, les habitants, d’instinct, les accueillent avec le sourire, mais leur générosité est aussitôt mise à mal : car ce qui intéresse les nouveaux arrivants, ce sont les « grandes richesses » que posséderaient les villageois… leurs fameux « mille trésors ».
Ces derniers saisissent bien vite que les deux bandits sont de vrais «méchants » et, loin d’être naïfs (en dépit de leurs dehors affables), ils décident de concocter une belle surprise aux deux intrus… Seiji le potier prend les choses en main et, tandis que certains des enfants harcèlent gentiment les bandits, les autres habitants préparent leur piège. Quand les villageois mènent les brigands dans la forêt, l’atmosphère se fait inquiétante, les scènes plus sombres mais le jeune lecteur se doute que tout ceci est une ruse, ce qui désamorce la terreur tout en maintenant quelques tensions.
Cette belle fable, (qui se termine bien pour les villageois, on l’aura compris), dénonce l’appât du gain et l’avidité, lui opposant des valeurs de frugalité et de bonheur tout simple, tout en louant l’intelligence et l’ingéniosité de gens déterminés à préserver leur tranquillité et à échapper à la malveillance du monde environnant, incarnée par les deux personnages (aussi lâches que stupides). La petite communauté vit, semble-t-il, en vase clos ; un système qui prône l’autosuffisance, montrant des individus capables de répondre à leurs propres besoins en produisant le strict nécessaire ou de résoudre leurs problèmes sans aide extérieure ; une autonomie qui leur permet de conserver une vraie liberté et d’élever leurs « mille trésors » (leurs enfants…) comme ils l’entendent. Cet événement marque le village, devenant une histoire qui se transmet au fil du temps, un récit qui « enrichit » encore davantage les habitants et s’ajoute aux autres souvenirs ou incidents qui composent l’histoire collective du village une conclusion très astucieuse qui, en filigrane, revient sur la fonction de tout récit, montrant comment une histoire se construit, peut se faire exemplaire, éclairer le présent, devenir fable ou fiction et aussi divertir les enfants ainsi que les plus grands…
Blandine Longre
Sitartmag
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